Forum 2003 – Panel 1 : Documentaire au box office – modèles internationaux


[toggle title= »Serge Lalou – LES FILMS D’ICI – France »]Pour Serge Lalou, il y a nécessité d’inscrire le documentaire dans les réseaux de distribution traditionnels et non dans un circuit à part. Les Films d’Ici sont nés de Ciné Lutte un groupe de production créé en 1984, lui aussi partie prenante du regroupement de La Bande à Lumière.

Depuis 1984, les Films d’Ici ont produit plus de 450 films: des longs, des courts, des séries, des collections, des diffusés à la télévision, des sortis en salles, des primés dans les festivals, des distribués à l’étranger ici… et ailleurs.

Le premier film à connaître un succès en salle fut LA VILLE LOUVRE de Nicolas Philibert pourtant produit pour la télévision. Depuis, plus de 25 films ont obtenu des succès remarquables tout en s’inscrivant dans le système de distribution traditionnel. Il a chez Films d’Ici une volonté d’entrisme dans les circuits du cinéma commercial. Plus récemment le film ÊTRE ET AVOIR de Nicolas Philibert a fait plus de 1 800 000 entrées en France.

Chez Films d’Ici, on cherche à imposer un réalisateur plutôt qu’un sujet contrairement à la télévision. C’est un travail de fond et de longue haleine. Il y a une volonté stratégique d’affranchir les projets des sujets, qui sont le critère numéro un de la télévision. On cherche plutôt à «construire» un réalisateur et un public à partir d’une dimension à la fois culturelle et économique. En France, il se produit entre 2 à 5 000 documentaires par année. Moins de 1% passent en salles. Il y a donc un énorme travail à faire avec les distributeurs. Il faut voir la quantité de sorties de films qu’il y a par semaine à Paris par rapport au documentaire, et la place qu’il peut et doit occuper suppose un travail considérable en amont.[/toggle]

[toggle title= »Emma Davie – DOCSPACE / EDN-Écosse »]

Pour Emma Davie, il y avait en Écosse une urgence de trouver un espace où le documentaire ne serait pas sous l’emprise de la télévision. L’Écosse est le pays de Grierson et pourtant on avait l’impression que le documentaire y était mort. Il y avait tellement peu de documentaires écossais produits, que même dans un Festival comme celui d’Édimbourg on ne trouvait pas de films écossais à programmer. Il fallait donc trouver un nouvel espace de diffusion.

En février et mars 2003 on a organisé des Ateliers nommés «Camcorder Guerilla Week-End» qui a rassemblé des cinéastes engagés et expérimentaux ainsi que des activistes politiques dans le but d’échanger des expériences et une meilleure connaissance des réseaux et des outils médiatiques propices à l’action politique et sociale.

On a procédé simultanément à une recherche de base sur la place et l’espace du documentaire dans plusieurs pays avec l’aide de EDN (European Documentary Network). La recherche a démontré que l’espace existe mais que c’est en privilégiant un choix technologique de production et de diffusion plutôt que le gonflage en 35mm qu’il fallait agir.

On a pris l’exemple sur le DOCUZONE créé avec l’aide financière du Holland Film Fund. L’argent épargné dans la chaîne de production en optant pour le support numérique, a permis de réaliser une importante économie d’échelle. Ces sommes ont alors pu être investies dans l’équipement de salles en technologie numérique. On a aussi réalisé que pour 75% du public du documentaire, qui est dans la moyenne d’âge des 30 ans, la préférence allait plutôt vers le sujet traité que vers la notoriété du réalisateur.

DocuZone a débuté ses activités en Hollande en 2001. Depuis, dix salles équipées numériquement sur le territoire hollandais programment environ 40 documentaires par année. En 2002, plus de 32 000 spectateurs ont fréquenté les projections de DocuZone. Certains de ces films ont tenu l’affiche jusqu’à 6/7 semaines. DOCSPACE s’est donc affilié au regroupement EuroDoc qui couvre présentement la Hollande et l’Allemagne à partir d’un réseau autonome numérique qui devrait bientôt regrouper 9 pays européens [Ces pays sont: la Hollande, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Écosse, la Slovaquie, la Finlande et la Suède, la Belgique. et l’Espagne.] pour effectuer une programmation centralisée qui serait diffusée par satellite à partir d’une sélection de films faite collectivement. L’infrastructure d’accueil est différente dans chaque pays et comporte un potentiel total de près de 200 points de chutes. [Il est intéressant de noter ici la différence fondamentale d’approche entre des expériences européennes du nord à caractère anglo-saxon et du Sud, plus près du monde latin. En France on mise sur le créateur ou sur des œuvres à caractère cinématographiques, alors que dans les pays nordiques l’accent est plutôt mis sur des auteurs francs-tireurs, engagés politiquement ou dans le cadre de mouvements radicaux. On assiste à un mode de diffusion plus personnel, plus marginal alors que du côté français ou belge on cherche à rejoindre un public plus cinématographique. Dans les deux cas toutefois la notion thématique a son importance.]

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[toggle title= »Amir Labaki – É TUDO VERDADE – Brésil »]

Amir Labaki fait remarquer qu’au Brésil il y a toujours eu une grande tradition du documentaire de court-métrage. Des cinéastes tels Alberto Cavalcanti, Nelson Perreira dos Santos, Eduardo Coutinho ou Geraldo Sarno ont acquis une réputation mondiale. Toutefois, avec la fermeture d’Embrafilm sous le gouvernement Collor de Mello en 1990 la production cinématographique a été au point mort pendant près de dix ans.

Le Festival international du Documentaire É Tudo Verdade a été créé en 1995. Il y avait une nécessité pour le public et pour les cinéastes d’accéder à la production documentaire brésilienne et internationale. Le succès a été immédiat et le Festival se déroule simultanément à Sao Paulo et à Rio de Janeiro pendant 10 jours en avril.

La production de documentaires brésiliens a été de 25 à 30 films par année jusqu’en 1993. Depuis elle est passé en 2002 à près de 400. Avant le Festival, il n’y avait pas de long-métrage documentaire sur grand écran. À partir de 1995 il y a eu 4 documentaires de long-métrage dont 1 présenté en salle; en 1996 il y en a eu 6 dont 2 sur grand écran; en 1997 le rapport a été de 4 pour 1. En 1998, 2 longs-métrages pour 1 en salle; en 1999, 4 pour 1; en 2000, 6 pour 2; en 2001, 8 pour 2 et en 2002 11 pour 4 avec des succès box-office remarquables tels EDIFICIO MASTER d’Eduardo Coutinho, JANELA DA ALMA de Walter Carvalho et ONIBUS 174 de Jose Padilha.

Il faut aussi mentionner le travail qu’a réalisé Adheimar Oliveira avec son réseau de salles UniBanco et ArtePlex [Le réseau ARTEPLEX de Adhemar Oliveira au Brésil compte beaucoup pour le développement de la distribution du cinéma documentaire brésilien. Sociologue de formation, Oliveira avait d’abord conçu le programme «Cinéma Itinerante» qui pendant deux ans a présenté des films brésiliens dans plusieurs villes moyennes du Brésil. Par la suite il a créé des ciné-clubs à Sao Paulo, Rio, Fortaleza avant de diriger le Festival de Rio. Avec l’aide de Unibanco il crée d’abord deux salles d’Art & Essai à Sao Paulo et à Rio. Puis avec l’aide financière de PetroBras en 2000 il aménage ses premières salles ArtePlex dans des nouveaux complexes cinématographiques à Sao Paulo, Rio et Fortaleza. Ces salles comportent un espace d’exposition, un café ou resto-bar, une librairie et présentent une programmation de films reconnus dans plusieurs festivals et des films brésiliens. Avec le Festival de Sao Paulo, il travaille depuis l’an dernier également à la création de 3 à 6 salles équipées en projection numérique à Rio et à Sao Paulo.] qui depuis 5 ou 6 ans programme du documentaire brésilien et étranger de façon continue dans ses principales salles. [Depuis trois ans également Brasil Documenta joue un rôle important dans la promotion du Cinéma documentaire. En partenariat avec le réseau de télévision Globo l’événement réunit à Rio de Janeiro des producteurs et des réalisateurs autour d’un marché de projets où sont sélectionnés dix projets documentaires qui sont alors proposés à des chaînes de télévision brésiliennes et étrangères.]

Presque tous les documentaires brésiliens aujourd’hui trouvent leur marché. Toutefois ces sorties sont limitées aux grandes villes: Rio de Janeiro, Sao Paulo, Belo Horizonte, Porto Alegre, Salvador de Baia, Fortaleza et Recife principalement. En général les distributeurs et les exploitants travaillent avec 1 à 5 copies. Il n’y a pas de salles spécialisées, si l’on excepte la chaîne des écrans des Cinéma Unibanco et des ArtePlex. Au Brésil le documentaire est considéré comme un film de cinéma au même titre que la fiction. Depuis quelques années et à cause du travail du Festival et de ces nouvelles chaînes d’écrans spécialisées et situées dans des multiplex, il y a un support et une adhésion de la presse pour le cinéma brésilien dans son ensemble. Toutefois il y a un manque flagrant d’aide de l’État pour la production et il y a absence de continuité des aides et des expériences.

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[toggle title= »Joanne Senécal – FILM CIRCUIT/FILM TONIC – Toronto »]

Joanne Senécal est chargée par le Film Circuit d’étudier le projet d’implanter une antenne du réseau contrôlée et dirigée par le Toronto Film Festival Group au Québec. Le Film Circuit est un regroupement de salles régionales principalement situées dans le nord de l’Ontario et à travers le pays dans des régions particulièrement mal desservies sur le plan cinématographique.

La programmation est faite en collaboration avec des associations locales et fonctionne grâce au bénévolat de ces regroupements. Le Film Circuit établit la programmation, négocie les droits, trouve des commanditaires et assure une partie du financement de ces opérations. Le Film Circuit est établi dans 8 provinces. À ce jour, il a présenté 240 films et a rejoint près de 240 000 spectateurs. Pour le documentaire, le box-office représente environ 50 000 spectateurs à partir de 230 bookings pour une trentaine de films .

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[toggle title= »Laurie Jones – Office national du film du Canada »]

Laurie Jones nous informe d’abord que l’ONF a produit près de 10 longs-métrages documentaires en 2002/2003. L’organisme vient de parapher une entente avec le UK Film Council et la BBC ainsi qu’avec France 2 pour co-produire une nouvelle série de longs-métrages documentaires. L’un des premiers de ces films est LA GRANDE TRAVERSÉE de Jean Lemire.

Elle rappelle que Grierson, déjà en son temps, appelait à la création d’un espace spécifique à la diffusion du documentaire. Dès 1942-43 il avait conçu un programme de diffusion basé sur une équipe de projectionnistes itinérants et créé un réseau international à partir des missions diplomatiques canadiennes. Pendant plusieurs années, ce réseau et les dépôts de films dans les cinémathèques régionales ont constitué le pivot de la diffusion pour la production de l’ONF. Avec les compressions budgétaires successives des années 1980-90, ce réseau a été presque complètement démantelé.

L’ONF s’est donc tourné vers la télévision avec des résultats mitigés pour la visibilité de ses films. Le documentaire onéfien a été alors sevré de son public. On élabore présentement de nouveaux réseaux à partir des nouvelles technologies et un réseau alternatif à partir du numérique. La mise en réseau d’institutions d’enseignement supérieur dans les principales villes, ainsi que la Cinérobothèque à Montréal et la Médiathèque à Toronto font également partie de ces expériences.

L’ONF étudie présentement les résultats et le potentiel du réseau créé par le U.K. Film Council, ainsi que l’expérience DocHouse de Londres avec ses trois salles de cinéma qui programment du documentaire en continu. Le réseau national du Film Council possède 250 points d’ancrage avec des salles de 200 places dans 10 villes.

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[toggle title= »Fernand MELGAR – Suisse »]

En Suisse romande, la télévision de service public diffuse sur deux chaînes et elle co-produit avec les cinéastes indépendants. Il n’y a pas d’imposition de durée ni de formatage. Ces films sont diffusés aux heures de grande écoute, soit vers 20h. Sur la première chaîne, TSR1, les documentaires font en moyenne plus ou moins 40% de part de marché. Le deuxième canal, TSR2 obtient une moyenne de 12% de part de marché. Pour son film Remue ménage, Fernand Melgar a obtenu 17% de part de marché, soit 50% d’audience supplémentaire.

Ce qui importe pour ces chaînes c’est de pouvoir compter sur une injection de sang neuf dans la programmation et de proposer un regard différent. La diffusion en salle est principalement active en Suisse alémanique. Récemment, un film sur un chanteur engagé très populaire en Suisse a fait près de 200 000 entrées.

Il y a un système d’aide pour la diffusion en salle des documentaires. Les sorties en salles sont rétribuées au nombre de spectateurs. On accorde une part d’aide pour chaque $10 de box-office, part qui doit être réinvestie dans une nouvelle production.

Pour sa part Fernand Melgar a fait le choix de diffuser ses films dans des réseaux sociaux ou dans les réseaux scolaires qui organisent des activités parallèles. La rencontre avec le public est fondamentale et plus importante que le nombre d’entrée qui, pour lui, est une abstraction.

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