Forum 2003 – Extraits marquants des débats

Pourquoi aller en salles?

Il faut pouvoir diffuser des films qui sont produits complètement en dehors de la télévision, tout comme d’autres sont produits au cœur de la télévision. Or la véritable question c’est peut-être de savoir: Pourquoi du documentaire en salles? Pourquoi veut-on aller en salles? Et d’ailleurs il n’y a pas qu’un seul type de salles, il y a différents types de salles. La question n’est pas tellement d’avoir une certitude sur le comment, c’est d’avoir une multitude de réponses possibles en fonction de ce que l’on fait.

Il faut aussi nous efforcer d’abolir la dichotomie documentaire – fiction. Après tout, il n’y a que des films, dignes ou non d’être projetés en salles.

Il s’agit d’abord de vérifier l’importance cinématographique du documentaire, sa capacité à tenir la salle. Une publication, un dépliant d’accompagnement, une rencontre avec les spectateurs, en somme tout un appareil de sensibilisation doit dès lors être mis en place dans le but de fidéliser un public.

On ne va pas au cinéma pour échapper à la télévision! On va au cinéma pour aller au cinéma. On va au cinéma pour montrer des films de cinéma ou si l’on pense que c’est là où le film s’exprime le mieux. Par contre il ne faut pas déplacer sur la salle la problématique du documentaire car la salle ne peut garantir une continuité économique pour le documentaire.

Comment aller en salles

Il faut de toute urgence surmonter les préjugés du public face au film documentaire et surtout par rapport à la présentation qu’il obtient à la télévision où il est trop souvent confondu avec le reportage. Il y a une éducation importante à faire à ce niveau.

Les médias ne parlent que des sujets, rarement des auteurs. La notion d’œuvre semble encore réservée au seul cinéma de fiction. D’où la nécessité, pour un temps encore, de travailler sur une thématique, mais à partir d’auteurs identifiés et documentés.

Il faut aussi voir la quantité de sorties hebdomadaires de films en salles par rapport au film documentaire et la place qu’il peut et doit occuper. Cela suppose un travail en amont considérable.

Le film documentaire devrait être plus présent chez les distributeurs plutôt que de voir les producteurs créer leurs propres réseaux de diffusion. Ça donne un travail trop éclaté et pour lequel les producteurs n’ont pas l’expérience requise. Il faut faire sortir les gens, créer des événements, il y a aussi nécessité d’accompagner les œuvres si l’on veut créer des habitudes.

Ce genre d’opération mobilise une maison de production sur un seul film pendant des mois et on ne peut alors passer à la production d’un autre film. C’est un travail qu’il faut coordonner au coup par coup. Il y a les difficultés à se faire payer pour les coûts reliés au film (copies, promotion, publicité, etc.). C’est donc un travail de longue haleine avec des moyens souvent très restreints.

Les stratégies et les politiques

Il devient de plus en plus important de rapatrier la notion de CINÉMA dans le documentaire. Pour des raisons stratégiques, ici au Québec, nous avions laissé tomber le terme dans nos discussions, représentations, voire dans l’intitulé même de cette manifestation. Il importe donc aujourd’hui de récupérer l’idée de CINÉMA documentaire qui, à son tour, charrie toute une série de concepts et d’approches propices à lui redonner sa place dans le paysage de la distribution.

Au moment où le cinéma documentaire connaît une expansion jamais encore envisagée, au moment où il conquiert de nouveaux espaces, chacun pense à protéger ce qu’il a réussi à mettre en place plutôt que de continuer à le défendre. On ne peut pas déclarer que, puisque la télévision formate, il faut aller en salles. Puisque la télévision formate, il faut combattre le formatage de la télévision à la télévision.

Comme le cinéma documentaire a de plus en plus de succès, en heure de grande écoute sur un certain type d’œuvres, le combat est de maintenir la diversité sur tous les écrans et pas seulement aux heures de grande écoute. C’est là un combat qui peut alors rejaillir sur l’ensemble de la production. Ce qui est en jeu aujourd’hui c’est bien plus la diversité que le nombre de productions.

Il faut chercher à imposer un réalisateur plutôt qu’un sujet. C’est un travail de fond et de longue haleine. Il doit y avoir une volonté stratégique d’affranchir les projets des sujets, qui sont le critère numéro un de la télévision.

Pour créer et développer un public et des habitudes de voir du documentaire en salles pourquoi, lorsqu’un film a un potentiel de sortie en salles, doit-on prioritairement le présenter à la télévision. Pourquoi la télévision exige-t-elle cette primeur? Imaginons ce qui arriverait si on appliquait à une sortie salles les budgets parfois importants appliqués à la sortie télévision. C’est souvent dans la durée de vie d’un film que se créent les habitudes de fréquentation. La salle de l’ONF Centre-ville devrait servir à de telles expériences qui pourraient à la longue créer cette continuité que tout le monde appelle.

Les contrats avec la télévision devraient comporter une clause qui autorise la présentation d’un film en salles. Que les sorties télé de films documentaires ne soient pas trop rapprochées de leur sortie en salles. On se demande pourquoi les télédiffuseurs exigent maintenant les droits du marché éducatif.

Au Brésil le documentaire est considéré comme un film de cinéma au même titre que la fiction. Les nouvelles chaînes d’exploitation, spécialisées et situées dans des multiplex, ont encouragé le développement d’un support et d’une adhésion de la presse pour le cinéma brésilien dans son ensemble. Toutefois il y a un manque flagrant d’aide de l’État pour la production et il y a absence de continuité pour les aides et pour les expériences.

Le nerf de la guerre dans ce débat c’est qu’il faut en arriver à une concertation entre les télévisions, les distributeurs et les exploitants. Gonfler un film en 35mm pour le présenter en salles représente une somme d’au moins 40 000$. Il faut donc prioritairement qu’en amont, c’est-à-dire dès la conception du film, l’œuvre soit conçue comme du cinéma, pas de la télé.

Tant que la télévision aura la priorité et l’exclusivité sur la sortie des documentaires, le marché sera handicapé. Il faut établir une concertation entre les télédiffuseurs et les distributeurs pour changer cette situation. Il a été suggéré que l’Observatoire organise une rencontre entre les distributeurs, les exploitants et les télédiffuseurs pour harmoniser les besoins et les règles de chacun face aux institutions.

Si on libérait les télévisions de cette obligation de présenter les œuvres aux heures de grande écoute et qu’on pouvait quand même obtenir des licences qui déclencheraient un financement, on pourrait respecter l’œuvre. La levée de cette obligation permettrait de financer l’œuvre tout en respectant sa forme et son contenu.

Pourquoi les télédiffuseurs s’autorisent-ils à exiger une version abrégée d’un long-métrage documentaire alors qu’ils n’oseraient jamais réclamer une version abrégée d’un long-métrage de fiction?

On pourrait mettre en place un système d’aide à la diffusion en salles des films documentaires. Les sorties en salles [en Suisse] sont rétribuées au nombre de spectateurs. On accorde une part d’aide pour chaque 10$ de box-office, part qui doit être réinvestie dans une nouvelle production.

Selon AlexFilms, sur l’ensemble des recettes pour tous les titres à l’affiche, le cinéma documentaire d’auteur représente moins de 1% des recettes, incluant les films étrangers. C’est une réalité dont il faut prendre la mesure… pas pour se décourager…mais précisément pour se situer sur un autre terrain.

Les nouvelles technologies

L’auto-distribution et les nouvelles technologies (internet) ne sont pas une source de revenus. Ces méthodes couvrent éventuellement leurs frais mais elles sont peu soutenues financièrement par les institutions, ou alors à la pièce. Elles demandent énormément d’énergie, de temps et d’argent (pour la recherche de fonds et la coordination).

La présence, lors de la projection en salles d’un film documentaire, de spectateurs qui vont le voir et participent à un débat, est aussi une manière de vérifier l’engagement de ce public envers le documentaire. Les exemples dont on nous a parlé ici sont des cas d’espèce. On ne peut donc généraliser à partir de ceux-ci. Le numérique peut assurer une économie d’échelle à la production et à la diffusion, assurer aussi une diffusion plus large et instantanée, mais le 35mm existera toujours. Car la notion de sélection et de qualité est ici importante tant sur le plan de l’œuvre que face aux habitudes et aux exigences du public.

Les nouvelles technologies sont peut-être à 80%-85% de la qualité du 35mm, mais ne sont pas encore aussi performantes que le format traditionnel. Les projecteurs coûtent encore cher, soit près de 70 000$U.S. Il faudra encore 5 à 10 ans pour que cette technologie numérique remplace le 35mm.

Quant aux salles numériques, il s’agit d’une technologie en constante évolution sur laquelle on ne peut pas encore bâtir une diffusion de qualité qui corresponde aux critères des salles de cinéma traditionnelles.

Malgré une cinquantaine de salles affiliées à Réseau-Plus au Québec, il y a un manque, sinon une absence de lieux pour présenter des séances de cinéma documentaire en province. Avec la disparition du 16mm, il est devenu difficile de présenter du film documentaire. Comme tous les films sont maintenant sur support vidéo, les moyens manquent pour avoir des projections de qualité.

La distribution en petites salles, cafés, petits groupes militants, est une avenue intéressante mais n’est pas nécessairement la solution pour tous les films et pour tous les cinéastes. N’y a-t-il pas là par ailleurs, un danger de marginalisation pour le film documentaire d’auteur? En d’autres termes, il faut maintenir la pression sur les salles commerciales.

On peut avec les technologies qui existent (Black Chip, Cable, Internet etc.) nourrir le réseau en ligne à partir d’un autre site et ce, de façon autonome. Les technologies de transport et de visionnement existent. Il reste toutefois à régler les questions de droit d’auteur et à assurer le financement des films.