Présentation de Micheline Pépin – Directrice des programmes documentaires et gestion des fonds (Télé-Québec)
Télé-Québec est là depuis 40 ans. La programmation se compose d’émissions familles, de documentaires et de variétés. Nous avons subi des coupures de 5 millions et il y a même eu des rumeurs de fermeture.
Télé-Québec n’est pas généraliste car ne fait pas d’information. La chaîne a eu dernièrement l’autorisation de passer de 8 à 12 minutes de publicité à l’heure, ce qui est une bonne nouvelle.
On se demandait combien nous aurions d’argent pour faire des documentaires cette année. Comment allions-nous faire? Télé-Québec perd 1 million dans son enveloppe à chaque année. Pour trouver des solutions, il faut être créatif et l’union fait la force. Comment être créatif dans une structure de financement? On a échangé avec TVA l’argent de l’enveloppe dramatique contre celle du documentaire. Télé-Québec ne pouvait pas faire de dramatiques car n’avait pas reçu assez d’argent d’ailleurs. C’est cet échange qui a permis à Télé-Québec de faire plus de documentaires. Au niveau des partenariats, on fait des productions avec TFO, Art TV, TV5 Monde, CBC et l’ONF.
On prépare en ce moment une série sur le cinéma québécois, dont la Régie du cinéma est partenaire.
Le documentaire n’est pas et ne sera jamais ce qui fait gonfler les cotes d’écoute.
Michel Scheffer
Premier chef, Direction des opérations, financement et relations d’affaires (Radio-Canada Télévision)
Ma présentation va se concentrer sur les paramètres d’affaires à Radio-Canada. Tout d’abord je vais vous rappeler l’engagement de Radio-Canada envers le CRTC de diffuser 18 heures de documentaires par année en primeur, l’une de nos conditions de licence. On en diffuse beaucoup plus que ça.
On finance nos projets à l’étape du développement et de la production, environ 20 projets par années en développement, surtout des oeuvres uniques. Cette année on a commencé à développer des projets de longs-métrages destinés aux salles. La contribution moyenne de Radio-Canada est entre 5 000 $ et 15 000 $ par projet. On inclue là tous les projets, qu’ils soient déclanchés par la direction de l’information, RDI, les stations régionales ou la télévision en générale. Outre cette contribution en argent, on a aussi le bénéfice du Fond Canadien de Télévision, qui nous donne une enveloppe réservée pour les projets documentaires. On consacre une somme de 300 000 $ par année sur une somme de 1 100 000 $, ce qui équivaut à 27% de cette enveloppe, soit la deuxième dépense en importance après le genre dramatique.
Pour la production, on a eu la chance d’avoir la plus grande enveloppe du 4 500 000 $ du FCT en 2007-2008. On a pu programmer environ 75 heures de documentaires les deux dernières années, mais cette année on va réussir à en faire 101 heures. Outre l’enveloppe régulière qui nous permet d’accéder aux projets des producteurs du Québec, on a aussi une enveloppe qu’on appelle l’enveloppe des producteurs francophones hors-Québec, producteurs dont le siège social est situé au Canada, mais hors du Québec. Cette année, nous avons réussi à faire 45 projets, contre 38 l’an passé. Ces projets sont surtout des oeuvres uniques, 28 cette année; 11 séries; 3 longs métrages destinés aux salles. On a dépensé une somme d’argent de license de 2 750 000 $ cette année.
On fait affaires avec une cinquantaine de maisons de production, qui sont très variées en terme de grosseur. Nos partenaires financiers habituels sont de deux ordres, institutionnels et certains télédiffuseurs. On a mentionné le plus important, c’est le Fond Canadien de télévision, mais on a aussi la Sodec et l’ONF avec qui on fait beaucoup affaire et dans une moindre mesure avec Téléfilm Canada. Ceux-ci ont un nouveau programme pour le long métrage destiné aux salles, et une aide qu’on appelle le mini traité pour les coproductions internationales officielles.
Comme télédiffuseur nous avons, bien sûr, notre chaîne spécialisée, RDI, et la télévision anglophone, CBC et Newsworld. Dans une moindre mesure, on fait affaire, avec ARTV et TFO, et un peu avec Télé- Québec et TV5.
Les budgets de production sont très variables. Ce n’est pas la base de sélection des projets. Cette année on a fait des très petits devis, qui se situent entre 250 000$ et 4 000 000$ et des plus coûteux, entre 400 et 1 million de dollars. On avait une dizaine de projets dans chaque catégorie.
Plus ils sont élevés, plus les devis nécessitent, outre la contribution de Radio-Canada, des préventes internationales et/ou des diffuseurs anglophones qui doivent faire partie du financement. L’argent de l’enveloppe que l’on met dans chaque projet varie entre 50 000 et 200 000$. Les droits négociés, en général, sont une licence exclusive en primeur pour le Canada français avec 3 diffusions sur 5 ans. Il y a deux conditions additionnelles pour les projets de longs métrages en salle pour lesquels on exige une sortie en salles obligatoire pendant au moins deux semaines, et une contribution financière minimum du distributeur, par le biais du minimum garanti.
Pour les projets dont les budgets sont plus importants, le potentiel d’exploitation plus grand, et dont la contribution demandée à Radio-Canada est plus élevée que la moyenne, un investissement ou des droits additionnels sont possibles, mais cela arrive rarement.
Cela m’amène à vous parler des nouvelles plateformes. Depuis des mois à Radio-Canada, on réfléchit à un modèle d’affaire. Il y en a un qui est en train de s’élaborer, qui va être présenté à la haute direction d’ici quelques semaines. Ce qui est le plus sérieusement envisagé est un modèle de partage de revenus entre le producteur et le télédiffuseur. Pour certains projets qui ont vraiment peu de potentiel de revenu, il va falloir penser à d’autres solutions. On y réfléchit, mais à ce moment-ci c’est peut-être un peu trop prématuré pour vous en parler.
Jean-Pierre Laurendeau
Vice-président programmation, Canal D
Jean-Pierre Gariépy m’a demandé de vous faire une présentation sur le financement du documentaire. Voilà un sujet qui m’ennuie profondément. Il y a de nombreuses années, j’ai renoncé à devenir un cinéaste car j’avais alors compris que pour ce faire, il faudrait que je passe une partie de ma vie professionnelle à remplir des demandes de subvention, des paperasseries destinées à satisfaire des critères de sociétés d’état. Je n’avais ni le tempérament, ni la patience.
C’est en fait pourquoi je suis allé travailler à la télévision. Durant plus de 15 ans à TVA, à Radio-Canada, à MusiMax, j’ai pu m’amuser à faire de la télévision sans jamais avoir à me soucier de finances autrement qu’en respectant le cadre budgétaire fixé par la direction.
Pour nous à Canal D faire des vues, c’est une question d’aventure créatrice, de développement du talent, de plaisir à créer, d’ouvrir de nouvelles portes, de changer le monde et de tout faire cela en rejoignant l’élément le plus important de toute l’équation: le public.
Quand Guillaume Sylvestre est venu nous voir pour nous proposer Sur la ligne — éloge de la folie des chefs (qui allait devenir Durs à cuire), nous avons d’abord fait la réponse standard: la cuisine ce n’est pas pour Canal D. Puis avant de lui faire la réponse définitive, j’ai visionné la cassette démo qu’il m’avait déposée. Étonnante maquette qui est très proche du produit final. J’ai vu là le talent, j’ai vu là la marque d’un créateur et j’ai rappelé Sylvie Krasker, la productrice du film: rencontre avec Guillaume, et Sylvie Krasker pour parler des finances, mais surtout le «thrill» pour Sylvie de Bellefeuille et moi-même de voir un film prendre corps, de voir un talent se développer.
Je le sentais à l’instinct que Guillaume allait livrer la marchandise. Puis le bout plate: de dépôts en refus nous avons été obligés de revoir le budget jusqu’au point où il suffisait tout juste. Mais Guillaume et Sylvie avaient le feu sacré et croyaient qu’il serait possible de passer à travers et surtout de le sortir en salle… Ce dont je doutais, mais que je souhaitais tout autant qu’eux. Nous leur avons cependant fait une promesse: si vous réussissez votre coup et que vous trouvez un distributeur, nous allons nous «tasser» pour permettre la distribution en salle.
Puis la longue parenthèse du tournage et du montage. Blackout total pour le diffuseur. Enfin nous visionnons le premier montage. Bang! Nous avons un film, et un pas pire! La suite fait partie du folklore: TVA film visionne et se convainc qu’une distribution est possible; le Festival du Nouveau Cinéma le choisit comme film d’ouverture et le film jouit d’une visibilité que peu de documentaires ont eu dans les cinq dernières années. Un succès.
Guillaume a pris des risques, Sylvie Krasker a pris des risques, Canal D a pris des risques et nous avons gagné. Le problème est que les institutions publiques qui gèrent les fonds destinés à la production sont des constructions théoriques destinées à satisfaire des lobbys de créateurs et que la dernière chose que souhaite une institution c’est prendre un risque.
Et des risques, on en a pris avec Yves Langlois pour Le dernier envol, avec Loïc Guyot pour l’Odyssée de l’Amundsen et Arctique, enjeu stratégique, avec Bombes à retardement de Guylaine Maroist et Éric Ruel, avec 50 Tonnes d’épinettes de Bruno Bouliane, avec Ni sauvage ni barbare de Roger Cantin, Sale juif comme moi de Jamie Kastner, Posthumous Pickle Party de Ezra Soiferman, Punk le vote, de Éric Roach Denis, Esclave Sexuelle de Rick Esther Bienstock, Enfants de la loi 101 de Anita Aloiso, On a tué l’enfant-Jésus de Renée Blanchar, etc.
Le financement au Fonds Canadien de télévision selon le système des enveloppes, bien qu’il soit imparfait, a au moins permis aux diffuseurs de prendre des risques calculés sur des films comme Durs à cuire, mais également dans des genres qui au plan du sélectif auraient eu moins de chance: je pense ici aux séries documentaires qui connaissent à Canal D un succès important: Dossier Justice, Toxique, La Vie après la mort, Mon Œil, Un tueur si proche, Victimes, Enquête, Humour PQ, Légendes urbaines, toutes des séries qui mettent le documentaire à l’antenne comme jamais il ne l’a été et qui en plus livrent les résultats d’écoute.
Avec la série Manifeste en série de Hugo Latulippe, produite par Josée Turcot de Espéramos, nous sommes en train de faire la démonstration que la série d’auteur est possible dans une chaîne privée spécialisée. Hugo s’étonne sans cesse que cette grosse compagnie (Astral) lui permette autant de liberté… Quand Hugo est venu nous voir c’était pour nous vendre un projet que nous avions trouvé ordinaire. Il a rappliqué avec quelque chose qui brassait la cage et une fois encore c’est le créateur qui s’est affirmé, celui qui voulait changer le monde.
La série offre des économies d’échelles qui permettent de donner des moyens aux équipes tout en permettant de maintenir les coûts à l’intérieur d’un ordre de grandeur qui les rend finançables. On entend souvent que les moyens financiers manquent, mais la hauteur des budgets est aussi un problème. Quand on me propose un film à 750 000$ pour une heure, on est mieux d’être en co-production ou d’avoir une source de financement hors industrie, car une telle hauteur de budget est une montagne à escalader en termes de financement.
Le financement est aussi une question de contrôle des coûts. Il est beaucoup plus difficile de financer 750 000 que 250 ou 160 000$. Les producteurs qui travaillent dans des cadres financiers de cet ordre de grandeur ont beaucoup plus de facilité à faire financer leur film. Il faut dire que la hauteur du budget n’est pas proportionnelle à la valeur du film.
Mais qu’advient-il du grand documentaire qui prend trois ans à produire? Et bien il deviendra de plus en plus un luxe que seuls quelques auteurs chanceux pourront se payer après une aventure de financement international de plus en plus laborieuse.
Le cinéma documentaire est à la croisée des chemins. Il faut que ceux qui veulent le voir prospérer fasse le même chemin que le film de fiction a fait au Québec dans les années 90. Pourquoi et comment le cinéma de fiction a-t-il trouvé un public dans les années 90 avec des films populaires comme les Boys, Séraphin, Aurore, Le Survenant, l’Horloge biologique, CRAZY, Bon cop bad cop? Quand on remonte aux années 70 le film québécois avait mauvaise réputation. Il ne rejoignait pas son public. Les équipes de cinéma gagnaient leur vie à faire du film américain et le cumul des journées de tournage du film québécois était plutôt bas. Dans les années 80 les réalisateurs de cinéma se sont tournés vers la télévision avec des séries lourdes comme Lance et compte, Les filles de Caleb, Blanche, etc. Les réalisateurs et tout un milieu ont appris à rejoindre un public, à toucher des téléspectateurs et ils ont aimé cela. Ce know-how télévisuel s’est transféré vers le cinéma pour nous donner des films qui mobilisent le public.
Voilà le défi du film documentaire: se servir de la télévision pour apprendre à rejoindre un public, lui parler pour être compris et être apprécié par le téléspectateur. Il faut casser les dogmes formels qui remontent à la naissance de notre cinéma documentaire et qui enferment la création.
Il faut cesser d’opposer le travail pour «les festivals et la critiques» et le travail pour la télévision qui impose des impératifs de résultats d’écoute. Ce travail est amorcé à Canal D et nous entendons le poursuivre avec tous ceux qui ont quelque chose à dire et qui se donnent les moyens de parler au public d’ici.