Par Diane Poitras, cinéaste indépendante et productrice à l’ONF
Après les [5e] Rencontres internationales du documentaire qui viennent de prendre fin à Montréal et dont nous avons rendu compte dans ces pages, voici que Documentaire sur Grand Écran prend la relève à Paris, jusqu’au 6 décembre [2002]. Le genre serait-il en voie d’acquérir une reconnaissance publique?
[Le Devoir, 23 novembre 2002] Paris — En France comme au Québec, le documentaire est souvent perçu comme un genre mineur dont on ne voit pas bien en quoi il se distingue du reportage télévisuel. En fait, le petit écran est devenu la première (et habituellement la dernière) destination du film documentaire. Celui-ci est de plus en plus formaté pour les besoins du télédiffuseur où il doit se mouler, la plupart du temps, dans les cases consacrées à l’actualité. Il n’est donc pas étonnant que le public associe plus spontanément le documentaire à une forme de langage télévisuel qu’à une œuvre cinématographique.
Inquiets de voir la vocation du documentaire ainsi réduite, des réalisateurs et des théoriciens du cinéma fondaient en 1992 à Paris, Documentaire sur Grand Écran (DSGÉ). Cette association se donnait pour mandat d’assurer la promotion et la visibilité du documentaire en salles. Curieuse stratégie que de se tourner vers les salles de cinéma plutôt que de revendiquer un meilleur traitement à la télévision? Simone Vannier, déléguée générale de l’association, explique: «En programmant du documentaire en salle, on a voulu faire la preuve de sa valeur cinématographique. Nous croyons en effet que la magie du grand écran permet la communion du public avec l’œuvre. Mais pour cela, il nous a fallu être toujours très exigeants. Notre parti pris formel est net: on ne programme pas des émissions mais des films qui échappent au formatage télévisuel; des films, donc, qui apportent quelque chose de plus.» Il faut croire que le pari était juste puisque dix ans plus tard, l’association regroupe, à travers la France, environ 80 salles qui affichent des programmations hebdomadaires de documentaires suivis de débats. À Paris, depuis l’inauguration, en 1996, du Cinéma des cinéastes, Documentaire sur Grand Écran y propose, tous les dimanches, quatre séances différentes dont deux sont suivies de débats avec les réalisateurs.
Renaissance
Après dix ans, l’intervention de DSGÉ s’inscrit dans ce qui peut apparaître comme une renaissance du cinéma documentaire. Par exemple, pour la troisième année consécutive, les manifestations du Mois du film documentaire se tiennent, tout le mois de novembre, dans des bibliothèques, salles de cinéma, écoles, musées, centres culturels sur l’ensemble du territoire français. Plus de 400 organismes se sont mobilisés cette année pour assurer ces projections, débats, rétrospectives. Cet événement, soutenu par le Ministère de la Culture et de la Communication, se donne, entre autres objectifs, de «favoriser la découverte d’œuvres de qualité portées par des auteurs» et «de créer les conditions d’un dialogue entre auteurs, réalisateurs et spectateurs».
Si cette intervention contribue à la valorisation du documentaire, on peut raisonnablement penser qu’elle participe, elle aussi, d’un mouvement plus large. Un mouvement de fond dont témoignent, par exemple, des succès tels que Bowling for Columbine, de Michael Moore, qui sévit (et séduit) jusqu’à Paris, Les glaneurs et la glaneuse, d’Agnès Varda, et le phénomène Être et avoir, de Nicolas Philibert, qui continue d’attirer les foules dans 300 salles françaises depuis plus de deux mois!
À quoi attribuer un tel regain d’intérêt? Selon Simone Vannier, il y aurait coïncidence entre la démarche du documentaire d’auteur et la complexité du monde contemporain. «Il n’est pas simple, aujourd’hui, d’avoir une véritable réflexion sur le monde. Or, chaque fois qu’un auteur propose un point de vue, il provoque notre propre positionnement sur le sujet. Pour le public, il est intéressant de se confronter à quelqu’un qui a déjà pris le temps d’approfondir une question. Cet échange, qui donne des repères pour se situer, est peut-être plus important que jamais dans notre époque très troublée. En ce sens, je pense que le documentaire joue vraiment un rôle citoyen.» La fréquentation plus grande des projections suivies de débats avec les cinéastes semble confirmer cette hypothèse.
Signe des temps, les prestigieux Cahiers du cinéma consacrent ce mois-ci un article au film documentaire intitulé «Le réel est entré dans les salles». On peut y lire entre autres que Buena Vista Social Club, de Wim Wenders, avait fait, en 1999, 616 610 entrées. Bowling for Columbine, de Michael Moore, avait attiré plus de 260 000 spectateurs après seulement deux semaines d’exploitation. Être et avoir, de Philibert, avait dépassé le million après sept semaines. (Quant aux autres «top doc», il n’est pas étonnant de constater que les premières places sont occupées par les documentaires animaliers: Microcosme, plus de trois millions d’entrées, Le peuple migrateur, plus de 2,7 millions.)
Un public cultivé
Malgré cet engouement, il faut reconnaître que le documentaire (non animalier) en salle rejoint surtout un public cultivé: des professionnels, des employés des milieux culturels, enseignants, etc. On ne peut donc s’attendre à des fréquentations généralement aussi élevées que celles de films de pur divertissement. De plus, ce cinéma qui incite à réfléchir, voire à se remettre en question, est exigeant et… ce n’est pas tous les jours qu’on est prêt à fournir l’effort. Ça aussi, il faut le reconnaître… et en assumer les conséquences. Si encourageantes que soient les perspectives d’avenir pour le documentaire, on ne peut s’attendre à ce qu’elles n’entraînent, de manière continue, des recettes phénoménales. Il reste que la nouvelle est plutôt bonne pour les documentaristes du Québec, où la production d’une version long métrage de leur film est souvent considérée comme un caprice et ne s’obtient que grâce à l’engagement d’un producteur aux nerfs solides.
L’événement se déroule à Paris jusqu’au 6 décembre, au Forum des Images, qui, en accueillant DSGÉ, émet un signal de reconnaissance envers le travail qu’il accomplit depuis dix ans.
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Diane Poitras a été cinéaste indépendante avant de devenir productrice à l’ONF pendant 5 ans. Elle travaille actuellement à un projet de film.