Forum 2003 – Conférence : Documentaire sur grand écran


Simone Vannier – Documentaire sur grand écran – Paris

Simone Vannier décrit l’expérience française née dans la foulée du regroupement des documentaristes de La Bande à Lumière, une association pour la promotion du film documentaire créée en 1986 autour de personnalités telles: Jean-Michel Carré, Raymond Depardon, Yan Le Masson, Jean Rouch, Agnès Varda, Colline Serreau et Marcel Ophuls, pour ne nommer que ceux-là, et alors présidée par Joris Ivens. [Formée d’une trentaine de maisons de production et de distribution et de cent soixante-dix réalisateurs La Bande à Lumière était présidée par Joris Ivens. L’objectif était de redonner ses lettres de noblesse au cinéma documentaire et de regagner l’assiduité d’un public plus large, de restimuler l’intérêt des exploitants de salles de cinéma et des chaînes de télévision pour ce genre cinématographique. C’était aussi un lieu de concertation avec les pouvoirs publics et les chaînes de télévision. De ce regroupement sont nées plusieurs actions, rapports, et documents de défense et illustration du cinéma documentaire, de même que la Biennale Européenne du Documentaire dans ses éditions de 1989 et 1990 d’où est né en 1991 le Festival Documentaire de Marseille VUES SUR LES DOCS.] À la fin des années 1980, la programmation de films documentaires à la télévision a commencé à être remise en cause par les annonceurs publicitaires, qui estimaient ce genre trop peu vendeur en termes d’audimat. Peu à peu, le documentaire a été relégué en fin de soirée, voire en début de nuit.

«Simultanément à d’autres actions menées par ce regroupement, on sentait le besoin de retrouver également le chemin des salles de cinéma et de prouver que le film documentaire peut attirer un grand public. Avec la création d’ARTE et de la SEPT, un nouveau créneau de financement s’ouvrait pour la production d’œuvres pouvant compétitionner avec la fiction. À la même époque la SCAM (Société civile des auteurs multimédias), incitée par la loi Lang qui l’obligeait à consacrer une partie des sommes collectées à la promotion des œuvres, a mis en place une programmation de documentaires à la Vidéothèque de Paris, et dont je me suis occupé dès la première année. Nous entendions réhabiliter le documentaire, montrer qu’il est une œuvre cinématographique à part entière. À partir de ce moment, l’idée d’une programmation régulière de documentaires en salles a progressé. C’est à cette fin que nous avons créé, en 1991, l’association Documentaire sur grand écran avec l’aide du CNC, de la SCAM, de la SACEM, et de la PROCIREP.

Nos activités ont commencé officiellement en novembre 1992. Il y avait une séance quotidienne au cinéma Utopia, et une autre, hebdomadaire, le dimanche, à l’Entrepôt. Nous avons d’abord programmé un échantillon de films en fonction de nos goûts, sans grande cohérence. Le film Titicut follies (1969) de Frederick Wiseman, avec lequel nous avons ouvert notre programmation, a connu un succès retentissant. Je me souviens ainsi de séances dans les premières années, où Johann Van der Keuken venait présenter lui-même ses films devant un auditoire de cinq ou six personnes tout au plus, c’était assez effrayant. Mais nous avons persévéré.

Avec l’aide du journal Libération une campagne de promotion a été alors lancée et des séances régulières ont suivi. Le concept misait sur une véritable rencontre entre un film et son public. Car pour nous, il s’agissait de vérifier l’importance cinématographique du documentaire, sa capacité à “ tenir ” la salle. Une publication, un dépliant d’accompagnement, une rencontre avec les spectateurs, en somme, tout un appareil de sensibilisation s’est dès lors mis en place dans le but de fidéliser un public. Depuis nous avons accumulé un catalogue de plus de 150 films que nous proposons à la location à diverses salles en régions.

D’autre part, nous avons constaté que les documentaires qui attirent du public aujourd’hui le font en vertu de leur valeur d’actualité plus que cinématographique. Depuis les programmations se sont échelonnées sur un trimestre, centrées sur une thématique. Depuis deux ou trois ans, nous essayons de fonctionner par programmations thématiques. Les dernières d’entre elles, La lettre au cinéma (automne 2001), Quêtes d’identité (printemps 2002), Question de regards (automne 2002) L’esprit des lieux (printemps 2003), ou Bonheur mode d’emploi (automne 2003), alternent interrogation sur la société et réflexion formelle. Mais en fait, bien sûr, les deux sont liées. À l’expérience on a constaté que les médias ne parlaient que des sujets, rarement des auteurs. La notion d’œuvre semblait réservée au seul cinéma de fiction. D’où l’idée de travailler sur une thématique, mais à partir d’auteurs identifiés et documentés.

Depuis 1996 les projections ont lieu au Cinéma des Cinéastes et la fréquentation est en pleine croissance. En 1992, nous avions 6 spectateurs pour Face Value, le chef-d’œuvre de Johan van der Keuken. Aujourd’hui, nous totalisons une moyenne de 150 spectateurs par séance. L’expérience parisienne s’étend maintenant à plusieurs régions de France, avec une programmation qui tourne maintenant dans une dizaine de régions. Sur les quelque 300 salles Art & Essai en France, le regroupement a réussi à en fidéliser 80. L’organisme reçoit une aide de l’ADAC pour la diffusion en région.

La création en 2000 du Mois du Documentaire a aussi grandement favorisé cette expansion en permettant de (re) découvrir des centaines de titres de films, récents ou anciens, français ou étrangers, courts ou longs, sur tous les supports (film, béta, vidéo). L’événement qui a un caractère national se déroule dans les bibliothèques-médiathèques, les salles de cinéma, les centres d’art, les musées, les établissements d’enseignement secondaire et supérieur, les écoles d’art…Chaque lieu culturel choisit librement sa thématique: société, arts, culture, économie, minorités, sciences. Les projections s’accompagnent de rencontres, de conférences, d’ateliers d’éducation à l’image, auxquels participent des réalisateurs, des critiques, des universitaires, des professionnels. Lors de sa troisième édition en 2002 l’événement a réuni 45 000 spectateurs, dans 418 lieux autour de 1 750 projections-rencontres».

En conclusion Simone Vannier affirme que l’avenir du documentaire est en salle. La télévision impose de plus en plus le formatage des œuvres, rétrécit le talent et prive les auteurs d’une plus grande liberté, essentielle à cette forme d’expression qu’est le cinéma documentaire. Même en France, tout est de plus en plus sacrifié aux cotes d’écoute, l’aide financière est, là aussi, soumise à l’exigence de la diffusion à la télévision. Il faut aussi nous efforcer d’abolir la dichotomie documentaire-fiction. Après tout, il n’y a que de vrais films, dignes ou non d’être projetés en salle.