Le cinéma documentaire
«Cinéma marginalisé souvent dans ses modes de production comme dans sa diffusion, cinéma décrié parfois, sous-évalué aussi, le documentaire est essentiel pour la vie des individus comme pour celle des sociétés. Plus que jamais, dans le brouhaha des images qui ont envahi notre quotidien, on a besoin d’un rebelle: le cinéma documentaire est ce rebelle. Un rebelle de son temps qui agit comme un grain de sable dans les mécanismes de reproduction — et souvent de coercition — des systèmes sociaux. Il fait partie des utopies nécessaires. Et, on le sait, les utopistes nous prouvent chaque jour que la vie mérite d’être vécue. Que serait-on sans eux? Sans cette quête irréductible qui consiste à vouloir nouer les rêves de vie ensemble à une réalité qui résiste d’autant plus que les lois qui la soutiennent n’ont que faire du devenir des hommes.
Le documentaire est une pratique artistique, engagée dans une écriture, dans une conviction, dans un rêve, dans un combat. Toujours l’un ou l’autre, souvent un peu tout cela à la fois. Et l’art naît de ces moments fragiles entre le je-ne-sais-quoi et le presque rien, comme il naît sous les pas du funambule marchant sur un fil tendu entre deux abîmes.
À un moment où le pouvoir de l’argent détermine les espaces de communication, la production documentaire indépendante mène un combat d’avant-garde pour maintenir la liberté d’expression et la création artistique dans un domaine où la division des financements et le pouvoir des télédiffuseurs laissent peu de marge de manœuvre aux auteurs.
Malgré cela, s’il ne peut changer le monde, le documentaire tente tout au moins de contribuer à changer le regard que l’on porte sur le monde, à corriger les angles de vue, à opérer des déplacements, à mettre en perspective le réel de façon à modifier l’idée que l’on se fait d’un événement.
Casser les stéréotypes, briser les idées reçues, telle est bien la mission première de l’artiste et le documentaire l’affirme en nous proposant de (mieux) regarder pour (bien) voir.»
—Extraits de En filmant, en écrivant de Jean-Daniel Lafond.